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Lettre ouverte d'une cadre de santé à Mme Buzin

Publié le 08/02/2018

Claire Ohana Saltel est cadre dans un centre de santé de Montpellier et a rédigé une lettre ouverte à l'attention de ministre de la Santé qui a été lue lors de la mobilisation du 30 janvier. La voici. Retrouvez en pièce-jointe le tract diffusé à la suite de cette journée

Aujourd’hui 30 Janvier, une journée de mobilisation est prévue pour dénoncer les conditions de travail déplorables au sein de nos EHPAD, qui mettent à mal le bien être des personnes âgées en institution.

Enfin ! Les langues se délient pour mettre à jour le travail de ces travailleurs de l’ombre que sont les soignants en EHPAD, ceux qui prennent soin de nos ainés.

Pourtant, à l’heure où nous parlons de « prendre soin »1, les pratiques soignantes n’ont jamais étaient aussi éloignées de ce concept de « prendre soin ». Et oui, les organisations actuelles ne permettent pas de mettre en oeuvre cette bientraitance2 pourtant prônée par toutes nos têtes bien pensantes.

En effet, quand on constate que ce sont les personnes dépendantes qui rapportent le plus de moyens humains au sein de nos institutions ; alors qu’en réalité sur le terrain, une personne âgée qui doit être stimulée pour conserver son autonomie, demande plus de temps, et donc plus de moyen humain. Pourtant, c’est bien cette dernière qui est moins bien cottée qu’une personne grabataire.

Nos organisations obligent les soignants à « faire à la place », et nous encadrant, nous accompagnons ce paradoxe, avec la politique de faire plus avec moins.

Alors Mme Agnès Buzyn (Ministre des Solidarités de la Santé) est-ce toujours un problème de management selon vous ?

La bientraitance n’est pas seulement l’absence de maltraitance mais une démarche active que la Haute autorité de santé définit comme « une manière d’être, d’agir et de dire soucieuse de l’autre, réactive à ses besoins, respectueuse de ses choix et de ses refus ».

Il serait donc temps de revoir le système. Ce même système, qui met en péril le travail des soignants et la qualité de vie de nos ainés en EHPAD.
Nos ainés, ces personnes qui ont travaillé toute leur vie, qui ont produit pour la France.

Pourtant, ce sont aujourd’hui ces mêmes personnes qui subissent dans leur lit, ces mêmes personnes qui se terrent dans le silence parce qu’elles ont compris que leur parole valait pour peau de chagrin.

Est-ce cela la place de la personne âgée en France ? C’est comme cela que nous remercions ces gens qui nous ont tant donné et tant appris ?

Il serait peut-être intéressant d’aller voir comment cela se passe pour les personnes âgées du côté de nos voisins en Belgique, Suisse, Finlande, Suède ou ailleurs. Même dans des pays plus pauvres la personne âgée a culturellement toute sa place.

Je me souviens de cette aide-soignante sénégalaise qui me disait :« Chez nous, on garde nos parents et nos grands-parents à la maison, et quand ils perdent la tête, on leur donne l’impression qu’ils gardent leur importance et que leur parole est écoutée. On leur doit bien ça ! »

Que s’est-il passé ? Avons-nous perdus nos valeurs humanistes ? Au-delà de ça, que fait-on de ces soignants qui essaient de faire de leur mieux pour « prendre soin » ? Comment ne pas se préoccuper du sort de ces professionnels qui font le quotidien de nos ainés ?

Ces soignants qui n’osent même plus dire qu’ils travaillent en EHPAD parce que l’opinion publique trouve cela dégradant.

Ah bon ? C’est dégradant de s’occuper de nos « vieux » !? Pourtant, pour la plupart, ces soignants aiment leur métier, aiment ce qu’ils font ; mais souffrent de plus en plus de leurs conditions de travail.

Comment rentre-t-on à la maison lorsqu’on se dit que l’on a mal fait son travail, que l’on est allé trop vite, que l’on n’a pas pu prendre le temps, et que pour l’humain que l’on a soigné on n’a pas fait assez. Comment pouvons-nous demander à ces soignants d’être bientraitants alors qu’ils sont euxmêmes maltraités dans leur quotidien de travail ?

A l’heure actuelle, où la qualité de vie au travail et la prévention des risques psychosociaux sont dans toutes les bouches, que fait-on alors de ces soignants oubliés qui accompagnent ces personnes âgées elles aussi oubliées ?

Enfin, en tout cas, nous avons oubliés par la faute de "politiques comptables" de nos dirigeants, de mettre les moyens humains pour les accompagner dans la dignité au crépuscule de leur vie.

Pourtant, de la place où je vous parle, l’EHPAD dans lequel je travaille est encore loin de ces réalités, mais jusqu’à quand ?
Jusqu’à quand pourrons-nous résister dans ce contexte contraint, à l’image d’un village Gaulois, pour conserver nos valeurs humanistes dans un établissement où il fait bon travailler ?

Alors voilà, en tant que cadre de santé au Centre de la Roseraie de Montpellier, et pour être solidaire avec mes homologues, qui accompagnent la souffrance des soignants, au quotidien, dans leurs « activité empêchées »3 ; il m’a semblé essentiel de relayer leurs paroles ; et plus largement, de se questionner sur la place de la personne âgée en France et au sein de nos institutions.

Claire OHANA-SALTEL
Cadre de Santé

1 Source Cairn.info : Le « Prendre soin » est un concept qui prend son origine dans la langue anglaise sous le vocable « care », mot difficilement traduisible. Le terme anglais comprend deux unités de sens indissociables : l’une traduit une attitude particulière et responsable dans la relation de soins, l’autre renvoie à une action de soins. L’attitude du « prendre soin » fait appel à une responsabilité pleine et entière, empreinte de sollicitude et du souci des autres (aspect éthique du soin). L’action de « prendre soin » relève d’activités multiples sur les « nécessités vitales » et inclut, dans une situation de soins, le discernement de la nature des besoins dans leur analyse, leur compréhension et leur réponse (aspect activité de soin : travail nécessaire à la vie).
2 Le concept de bientraitance a émergé au début des années 2000 et a été renforcé par le plan « Opération bientraitance » lancé par le gouvernement français en 2009, essentiellement à destination des établissements de soins et d’accueil de personnes âgées.
3 Source Cairn.info : Concept développé par Yves Clot ; par la formule bien connue « d’activité empêchée », pour souligner l’épreuve dans laquelle les salariés peuvent être placés quand les objets de l’activité leur résistent et viennent affecter le développement du pouvoir d’agir et dénaturer le métier. La situation où le sujet reste présent dans son action, mais n’est plus l’auteur de son sens, est très bien reprise dans la formule choisie : « On se cherche en vain dans ce qu’on se voit faire ».

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