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Caisse investigation

Publié le 22/01/2018

Les lignes de caisses des hypers ont pris un coup de vieux : avec l’arrivée des caisses automatiques et des scanners portables, ce sont maintenant les clients qui font le travail. Mais le métier d’hôtesse de caisse est-il dépassé pour autant ? Pas si sûr. Reportage à l’hypermarché Auchan de Boulogne-sur-Mer, sur la Côte d’Opale.

Les premières caisses automatiques sont apparues dans les hypermarchés Auchan il y a une dizaine d’années. Pour la première fois, la « caisse minute » permettait au client de scanner ses articles lui-même et de payer directement à une machine. Puis la « scannette » Auchan a fait son apparition : à l’aide d’une douchette, le client scanne ses articles avant même de les déposer dans son chariot. Il se dirige ensuite vers une caisse « rapido », où une hôtesse de caisse valide son passage. Cette dernière doit évaluer à l’œil le montant approximatif du Caddie en comparant avec ce qui s’affiche à l’écran. En l’absence de doute, le client paye à la borne et s’en va. Dans le cas contraire, elle désigne le chariot à la relecture… Le client doit alors décharger ses achats à une caisse de contrôle afin que l’hôtesse vérifie qu’ils ont été correctement enregistrés.

Faire ses achats sans perdre son temps à la caisse apparaissait comme un progrès indéniable en matière de service aux consommateurs. Pour la direction, l’automatisation était aussi la solution au problème de pénibilité du métier d’hôtesse de caisse. En faisant travailler les consommateurs, les caissiers manipulent moins d’articles. Dix ans plus tard, le bilan est mitigé.

Un stress chasse l’autre

Marie-Laure AUCHAN EntzmannSelon Danièle, qui travaille à l’hypermarché de Boulogne-sur-Mer depuis plus de vingt ans, les hôtesses qui sont affectées à la supervision des automates le sont deux heures par jour au maximum car « c’est très dur ». Les clients s’énervent quand ça ne marche pas. Les caisses automatiques détectent mal les produits au poids (en vrac), ça bloque… Quant au « self-scanning » –  Acte de scanner soi-même les articles choisis avant de les déposer dans le chariot –, il fonctionne dans les rayons grâce au WiFi.

En cas de rupture de réseau, d’oubli ou de fausse manipulation, il faut gérer plusieurs machines en même temps, encaisser… les insultes. « Pour nous, c’est un nouveau stress et une perte de sens. Plus lents que les hôtesses de caisse, les clients passent au final plus de temps dans le magasin », conclut Danièle, qui insiste sur le nombre de conflits que génère cette situation.

Elle souligne aussi le fait que les caisses rapides sont évidemment moins fiables qu’une caisse traditionnelle, puisque le client manipule à sa guise son scanner portable en faisant ses courses. « Depuis la mise en place de ce système, la fraude a considérablement augmenté », poursuit Danièle, chiffres à l’appui.

« Nous avons actuellement un taux de 22% de chariots envoyés en relecture. Cela représente environ 3 000 articles par mois non scannés par le client. Ces pertes constituent un manque à gagner de l’ordre de 28 000 euros mensuels pour le magasin. Ces chiffres justifient à eux seuls le maintien de nos emplois », soupire Danièle, avant de préciser qu’ils ne reflètent qu’un cinquième de ce qui est réellement acheté. « L’intéressement, la participation et la prime annuelle négociée avec notre employeur sont liés au chiffre d’affaires du magasin, l’automatisation des caisses est-elle un bon calcul ? », s’interroge-t-elle. Faut-il multiplier les contrôles pour limiter la fraude (ce qui fait fuir les clients) ou laisser passer des Caddie pleins à ras bord où des malins dissimulent de petits articles chers non scannés ?

« Fière d’être hôtesse de caisse »

FiereCaisse AUCHAN CEntzmann2017Hôtesse de caisse depuis vingt-cinq ans dans cet hypermarché, Marie-Laure aussi tient à témoigner de la réalité de son travail. Après la période de l’ensachage, durant laquelle les hôtesses devaient placer les articles elles-mêmes dans les sacs des clients, et qui a causé beaucoup de problèmes (troubles musculo-squelettiques, tendinites…), les conditions de travail ont évolué. « Sur 36 h 45 payées, 20 heures sont passées en caisse, pas plus. Le reste du temps, les hôtesses rangent les rayons, les remplissent ou bien sont affectées aux caisses automatiques. »
Les risques de TMS sont mieux pris en compte. Les hôtesses manipulent les produits alternativement par la gauche ou par la droite. L’organisation du travail est plus flexible. Ainsi, les hôtesses choisissent leurs horaires entre elles. Marie-Laure est chargée d’animer une fois par mois la négociation qui aboutit au planning, selon un système de plages horaires en îlots. Marie-Laure est également intégrée au groupe « relation clientèle » : « Dans le magasin, nous veillons à ce que le parcours du client se passe bien, afin que ce dernier arrive en caisse bien disposé… » Au poignet, elle porte un bracelet « Fière d’être hôtesse de caisse ».

2 000 suppressions d’emplois

        Daniele Mickael Guy AUCHAN CEntzmann2017    
        Marie-Laure, Guy (DSC CFDT au centre) et Mickaël.    

Mikaël, hôte de caisse, dont le veston rouge arbore un badge où il est inscrit « Mikaël vous facilite la vie », constate : « Curieusement, avant l’arrivée des automates, les critères demandés étaient plutôt efficacité et rapidité. Aujourd’hui, on nous demande d’être souriants et agréables. Y aurait-il une prise de conscience que nous sommes utiles au bien-être du client ? Quel que soit le mode de passage en caisse, nous sommes finalement la dernière personne que les clients voient en quittant le magasin. »

Depuis 2005, Guy Laplatine, délégué syndical central CFDT d’Auchan, estime que 2 000 postes ont été supprimés dans cette famille d’emplois au sein du groupe. « Entre 2007 et 2010, suite à une première vague d’automatisation, on compte 1,7 million d’heures travaillées perdues en trois ans. La direction pensait que les clients allaient se ruer sur les automates. La réalité n’est pas celle-là : on incite même la clientèle à y aller avec des bons d’achat uniquement valables sur les caisses automatiques, souligne Guy Laplatine. C’est le monde à l’envers ! »

Afin de soutenir les salariés qui se sentent menacés par cette stratégie commerciale misant tout sur le numérique, la CFDT a cherché à interpeller la direction sur le fait que la perte du lien social n’est pas vécue par tous comme un signe de modernité. En janvier 2017, elle a organisé l’opération « Caisse tu veux ? » et est allée demander directement aux clients de quinze hypermarchés emblématiques de l’enseigne ce qu’ils en pensaient.

« On a recueilli plus de 24 000 signatures en faveur du maintien des hôtesses dans leurs magasins. Les clients se sont montrés très concernés. Les jeunes, parce qu’ils comprennent que des emplois sont menacés ; les plus âgés parce qu’ils préfèrent avoir affaire à quelqu’un plutôt qu’à un automate. Malgré tout, la direction nous assure que les caisses automatiques sont une demande de la clientèle. Nous avons le sentiment contraire ! », affirme Guy Laplatine.

« Le commerce sans magasin existe déjà sur internet. Alors, les consommateurs qui se déplacent veulent encore avoir le choix de sourire à un hôte ou une hôtesse plutôt qu’à un robot. » Le débat sur le maintien des hôtesses de caisse reste ouvert, à l’instar de Décathlon Campus de Villeneuve-d’Ascq, qui a dû rouvrir des lignes de caisse après les avoir supprimées pour les remplacer par des caisses automatiques. 

cnillus@cfdt.fr

© Photos Cyril Entzmann